Ci-dessous un article du GROS paru dans le Journal Le Monde :
Halte aux bonimenteurs
Le Dr Pierre Dukan, fort de ses best-sellers, considère que le niveau de ses ventes tient
lieu de preuve scientifique de l’efficacité et de l’innocuité de ses méthodes amaigrissantes.
Aussi enjoint-il, dans une vaste campagne en direction des médecins, à se rallier à son
panache blanc, à prescrire à tout-va le « régime Dukan » afin de sauver la France et le
monde de ce fléau des temps modernes, l’obésité et son cortège de maladies.
Les études scientifiques internationales, publiées dans des revues médicales dignes de
sérieux et démontrant l’inefficacité sur le moyen et le long terme des diètes protéinées ?
Les études montrant les effets délétères des régimes amaigrissants, qui engendrent ou
aggravent les troubles du comportement alimentaire, non seulement chez les drogués du
régime, mais aussi chez leurs enfants, qui entraînent dépressions et pertes de l’estime de
soi ? Le rapport de l’Anses de 2010, qui fait une synthèse de l’état des connaissances en
ce qui concerne l’efficacité et la dangerosité des régimes amaigrissants ? Ce ne sont là
que des esprits chagrins, qui n’auraient rien compris au « régime Dukan ».
La méthode Dukan est assurément un succès. Un succès sur le plan des ventes de livres,
un succès médiatique. Mais cela ne nous paraît pas suffire pour la valider scientifiquement
et permettre à son auteur de recruter des adeptes au sein du monde médical. Il nous
semble donc que c’est peu demander d’exiger des autorités médicales qu’elles ne
cautionnent pas de telles méthodes. Or leur silence assourdissant ne constitue-t-il pas une
forme d’approbation ?
Le problème, avec les régimes amaigrissants, se situe dans le hiatus entre les résultats à
court terme et ceux à moyen et long terme. Une perte de poids rapide ne signifie pas que
la méthode soit recommandable aux personnes en difficulté avec leur poids et leur
comportement alimentaire. Car en tant que médecins, ce qui doit nous préoccuper au
premier chef, c’est l’évolution du poids et sa stabilité sur le long terme, seuls éléments
susceptibles d’améliorer la santé et d’éviter les complications somatiques, psychologiques
et sociales de l’obésité.
Les connaissances en matière de génétique et d’épigénétique de l’obésité, de régulation
de la masse grasse et de contrôle du comportement alimentaire ont considérablement
avancé ces dernières décennies. On sait aujourd’hui que n’importe qui ne peut pas faire
n’importe quel poids, à son gré, ou au gré de ses médecins. On sait que les mécanismes
neurophysiologiques de contrôle de la prise alimentaire sont ainsi faits que les pertes de
poids brutales, obtenues grâce à un contrôle mental, en mangeant à l’encontre de ce
qu’indiquent les sensations et les émotions alimentaires, sont ensuite compensées par
des frénésies alimentaires, des boulimies, qui sont incontrôlables dans l’immense majorité
de cas, et qui conduisent à reprendre le poids perdu, souvent avec un supplément. Les
régimes amaigrissants font grossir, sur le moyen et long terme.
Les études sociologiques fournissent des éléments explicatifs quant au succès médiatique
de la méthode Dukan. L’obésité est aujourd’hui plus que jamais assimilée à la fois à la
laideur et à une carence de la volonté. Ceux qui sont gros le sont par leur faute, et
deviennent de mauvais citoyens, des délinquants alimentaires et des laissés pour compte.
Ajoutons à cela la nécessité impérative d’apparaître belle, beau, jeune, tout de suite, la
préférence donnée au court terme au détriment du long terme, et nous obtenons le franc
succès de la méthode.En tant que médecins et professionnels de santé ayant à cœur la santé physique et
mentale de nos concitoyens, non pas à l’échelle de quelques mois, mais à celle d’une vie,
nous demandons que le corps médical, par l’intermédiaire des instances qui le
représentent, prenne une position claire face aux bonimenteurs de tous ordres. Car qui ne
dit mot consent.
Gérard Apfeldorfer, Bernard Waysfeld et Jean-Philippe Zermati